• La fonction des gestes

     

    Où avons-nous appris tous les gestes que nous utilisons ?

    Personne ne le sait au juste. Peut-être lorsque nous ne parlions

    pas encore ? Peut-être que cela nous vient du fait que nous

    imitions nos aînés lorsque nous étions enfants ? Tout cela est

    possible ! La seule chose dont nous soyons certains et que nous

    pouvons vérifier, c’est que, dans une situation donnée, nous

    faisons tous, jeunes, vieux, hommes, femmes, Européens,

    Chinois, Africains, les mêmes gestes.

    L’impérieux besoin d’exprimer ses sentiments

    Faites le test suivant : écrivez sur un papier « il va pleuvoir

    dimanche. » Donnez maintenant ce texte à lire à des amis en

    leur demandant d’imaginer que ce fameux dimanche est justement

    le jour où ils ont invité leurs amis et voisins à un super

    barbecue pour l’anniversaire du petit dernier. Écoutez le ton de

    leur voix et observez leurs gestes et les mimiques de leur visage.

    Le ton de la voix sera triste et laissera sous-entendre le dépit.

    Le mot « dimanche » sera prononcé lentement, longuement,

     

    et finira dans une consonance accentuant le « che » de

    dimanche.

    Les mains et les bras : ils vont probablement lever leurs bras

    en l’air et les laisser retomber rapidement le long des jambes

    comme s’ils étaient las, fatigués, désespérés. Les mains

    seront sans vie. Il y aura peut-être un haussement d’épaules.

    Ce sont des gestes métaphoriques. Ils traduisent une image

    mal définie dans le cerveau de vos amis. Bien sûr, en

    fonction de leur personnalité et de l’importance pour eux de

    ce dimanche, les gestes auront plus ou moins d’amplitude,

    seront plus ou moins rapides et saccadés ! Mais ils seront de

    même nature !

    Les yeux seront tristes et les sourcils auront probablement

    une forme de chapeau chinois. La tête sera penchée. Vos

    amis, qui ne sont pas des comédiens, vont immédiatement et

    automatiquement utiliser les mêmes mimiques du visage

    pour traduire leurs sentiments, leurs émotions.

    Demandez maintenant à un autre groupe d’amis de lire le texte

    sans faire de gestes, et observez bien les mimiques de leur

    visage. Pour être certain qu’il n’y aura pas de gestes, liez les

    mains des speakers dans le dos.

    En les observant lire le texte, vous constaterez que certains de

    vos amis ont du mal à lire. C’est ce que nous avons pu

    comprendre dans les chapitres précédents, à propos de la liaison

    entre le cerveau et la recherche de mots dans notre dictionnaire

    cérébral. Mais surtout, vous allez pouvoir observer qu’ils en

    rajoutent au niveau de leurs mimiques. Leur visage exprimera

    une très grande tristesse. Ils vont le mouvoir dans tous les sens,

    faire des pauses dans leur lecture et appuyer ces silences par des

    haussements d’épaules et un jeu particulier des yeux, qui

     

     

    s’ouvriront et se fermeront au fur et à mesure que naît la tristesse.

    Au passage, vous pourrez noter l’aptitude de vos amis à

    imaginer, à jouer un rôle, et, en quelque sorte, à mentir.

    Cette première expérience montre que si nous faisons tous les

    mêmes gestes, nous les faisons plus ou moins bien, avec plus ou

    moins d’exactitude et d’authenticité.

    Je propose souvent dans des situations d’entretien d’embauche

    de faire lire un texte se rapprochant du métier pour lequel la

    personne postule, et ensuite de lui demander de jouer la scène.

    On se rend immédiatement compte de sa capacité à imaginer, à

    trouver les bons gestes et les bonnes mimiques. Dans le cadre

    des emplois de manager ou de vendeur, le test est redoutable : la

    personnalité du candidat vous saute aux yeux. Finalement, ce

    n’est pas autre chose que le fameux casting que l’on fait passer

    aux prétendants à un rôle dans un film.

     

     

    L’importance de la gestuelle chez les acteurs

     

    J’ai eu l’occasion de faire ces expériences avec des acteurs professionnels.

    Il est certain que leurs gestes sont plus purs, plus exacts.

    Pour autant, ils ne sont pas différents. L’acteur, pour faire les gestes

    qui conviennent, se doit d’imaginer la scène et se fondre dans le

    personnage qu’il incarne. Il doit, par exemple, se prendre pour la

    mère de famille qui a tout préparé et qui se fait une fête de recevoir

    ses amis. À cet égard, le metteur en scène Claude Lelouch

    m’expliquait que son travail consistait à donner à ses acteurs le

    type de non-verbal qu’ils devaient avoir pour jouer la scène comme

    il l’imaginait. J’ai aussi travaillé avec une jeune actrice, Élodie

    Navarre, qui devait incarner le rôle d’une pianiste alors qu’elle ne

    savait pas jouer de cet instrument. Lorsque j’ai vu le film, j’ai été

     

     

    surpris par la justesse de son jeu : elle s’était fondue dans le

    personnage tant et si bien qu’elle vivait à proprement parler

    comme son personnage.

    A contrario, le président des États-Unis Ronald Reagan, qui avait

    pourtant une très belle voix, ne fut jamais un grand acteur. Son

    non-verbal n’était pas à la hauteur : il jouait faux ; ses gestes et ses

    mimiques étaient très décalés par rapport à sa belle voix. En fait,

    on imaginait autre chose de lui. Cela ne l’a pas empêché de devenir

    un grand président.

    Continuons l’expérience ! Demandez à vos amis de lire le

    même texte, en imaginant cette fois qu’avec la pluie, la bellemère

    avec laquelle ils n’ont pas de très bonnes relations ne

    pourra pas venir déjeuner. Vous pourrez aussitôt observer les

    traits suivants :

    La voix : le ton est plus enjoué. Le mot « dimanche » sera

    prononcé de telle façon qu’il paraîtra plus bref que dans le

    cas précédent.

    Le visage et les mains : les visages laisseront apparaître un

    rictus de plaisir. Les mains monteront au ciel, les paumes

    vers le haut et les doigts peu tendus, les épaules relevées

    comme pour dire « ce n’est pas ma faute ».

    Vous aurez compris, à travers ces gestes et ce ton de voix, le

    sentiment de vos amis à l’endroit de leur belle-mère et leur joie

    de ne pas la voir.

    Encore une fois, vos amis n’étaient pas préparés à cet exercice,

    et pourtant ils ont adopté le même ton de voix et les mêmes

    gestes naturellement, sans effort. Les gestes sont apparus

    spontanément comme si vos amis avaient déjà vécu ces deux

     

    situations ! Que s’est-il passé dans leur cerveau ? Comment

    l’ordre a-t-il été donné aux muscles du visage et des mains ?

    Comment les cordes vocales se sont-elles mises à vibrer, dans un

    cas à partir d’harmoniques mineures (tristesse d’un barbecue

    gâché), dans l’autre, d’harmoniques majeures (joie de ne pas

    avoir la corvée de recevoir la belle-mère) ?

    Ce sont des questions dont nous ne connaissons pas parfaitement

    les réponses ! Pour l’instant, constatons simplement que

    les gestes et les mimiques se sont avérés être le seul moyen dont

    vos amis disposaient pour exprimer leur ressenti par rapport à

    deux situations très différentes. D’un côté, la pluie qui gâche

    tout, de l’autre, la pluie qui apporte la joie. Sans gestes, sans tons

    de voix, nous n’aurions pas compris ces états d’âme, ces joies ou

    ces souffrances. Quoi qu’il en soit, vos amis ont utilisé involontairement

    mais simultanément et de façon synchrone les quatre

    moyens dont ils disposaient pour nous renseigner : le texte, la

    voix, les gestes et les mimiques du visage.

    Dans cette expérience, nous avons montré que face à certaines

    émotions (en l’occurrence la tristesse et la joie), nous utilisons

    les mêmes gestes, bien qu’à des degrés différents selon notre

    rapport à l’événement. Si l’on peut répéter cette expérience à

    différentes latitudes et dans plusieurs langues, et si nous observons

    toujours les mêmes résultats, nous aurons démontré que les

    humains ont un seul langage non verbal et qu’ils parlent en fait

    la même langue des gestes dans des occasions très précises. Cela

    est très encourageant pour ceux qui ont la tâche ou la marotte de

    décoder les gestes.

     

     

    La nécessité d’informer

    Continuons l’expérience : écrivez sur un papier « le train part

    dans moins d’une heure ». Demandez maintenant à un ami de

    lire ce texte en imaginant qu’il donne cette information à une

    personne qui est en retard et qui va manquer le train si elle ne

    se presse pas.

    Le ton de la voix : votre ami va automatiquement lire cette

    phrase en accélérant ses paroles et en insistant sur les mots

    « train » et « heure ». C’est surtout le « t » de train qui va être

    renforcé par un ton de voix sec et dur.

    Les bras et les mains : en même temps que la parole s’exprime,

    les avant-bras vont se déplier rapidement, comme si celui qui

    parle jetait quelque chose à la face de l’autre. Les mains

    seront violemment lancées en avant, poings fermés, et se

    déplieront brusquement.

    Le visage : c’est au niveau du visage que les choses

    intéressantes vont s’exprimer. Les sourcils seront crispés,

    froncés ! Un rictus de douleur apparaîtra et contractera les

    zygomatiques.

    Encore une fois, votre ami n’est pas un acteur professionnel,

    mais son cerveau a compris qu’il avait besoin, pour faire passer

    le message d’urgence, d’un certain ton de la voix et de gestes très

    particuliers des bras et des mains. Son buste sera penché en

    avant, la tête plus basse qu’à l’accoutumée. Ici, votre ami doit

    informer son interlocuteur. S’il a pris conscience que ce dernier

    risque de manquer son train et que cela aura des conséquences

    importantes pour son futur, il va utiliser un non-verbal basé sur

    des gestes métaphoriques exprimant l’orage, le désespoir, etc.

     

     

    Recommencez l’expérience avec le même ami en lui demandant

    de lire la phrase et d’exprimer, cette fois, l’idée que celui à qui

    l’on s’adresse et qui doit prendre le train a tout son temps et

    qu’il ne doit pas s’affoler.

    Le ton de la voix : immédiatement, le rythme et le ton de la

    voix vont être différents. Votre ami va parler lentement. Le

    ton de sa voix va être plus prononcé dans les graves.

    Les mains : il va lever sa main droite lentement jusqu’à

    hauteur des épaules, et la laisser retomber doucement. Les

    mains ne seront pas contractées comme dans le cas précédent.

    Les paumes des mains seront orientées verticalement. Si

    votre ami utilise ses deux mains, on observera une parfaite

    symétrie dans les gestes. Les deux mains se feront face. La

    main droite sera plus haute que la main gauche. Bien sûr, en

    fonction des individus, ces gestes peuvent varier. Cela étant,

    ils seront toujours dans les mêmes harmoniques.

    Le visage : la bouche fait une moue qui laisse les lèvres

    entrouvertes en forme ovale. Les joues se creusent. Les yeux

    sont grands ouverts, regardant vers le ciel.

    Ici encore, les gestes ont transmis une information importante à

    celui qui doit prendre le train. Votre ami ne traduit pas ses

    émotions, mais il utilise des gestes et des mimiques pour donner

    un sens d’actualité à l’information qu’il veut faire passer.

    Pour informer, là encore, nous utilisons les mêmes gestes. Tout

    d’abord, nous allons préciser l’importance de l’information pour

    le sujet auquel nous nous adressons. Ceci se fait par les gestes de

    nos bras. Comme nous n’avons pas d’image mentale à communiquer,

    nous n’utilisons pas de gestes iconiques. En revanche,

    nous utilisons des gestes métaphoriques. Plus nous imaginons

     

     

    que l’information est essentielle à la survie du sujet, plus nous

    allons étendre ces gestes métaphoriques. Inversement, si l’information

    que nous distillons est à nos yeux moins importante pour

    le sujet qui nous regarde, nous allons tout simplement utiliser

    des gestes métaphoriques, mais avec moins d’amplitude et de

    fréquence.

    Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent

    ! Dans l’ouvrage La fonction persuasive1, Emmanuelle

    Danblon précise ce qu’est une argumentation. Pour elle, l’argumentation

    consiste à avancer une « raison » en vue de conduire

    l’auditoire à adopter une « conclusion » à laquelle il n’adhère pas

    au départ. Par exemple, elle propose la raison « il fait beau » et la

    conclusion « allons nous promener », ou encore « il y a des

    nuages » (raison), « un orage se prépare » (conclusion).

    Dans la phrase que notre ami a lue (« le train part dans moins

    d’une heure »), nous avons fourni la raison et pas la conclusion.

    Ce sont nos gestes qui sont censés lui faire comprendre la

    conclusion. En agitant les bras, en forçant sur le « t » de train, en

    nous penchant et en lançant nos mains vers l’avant, nous avons

    décrit la conclusion qui, à notre avis, est la plus probable, à

    savoir le retard.

    Plus intéressant encore, nous avons naturellement calé nos

    gestes en fonction de notre perception de la relation raison/

    conclusion : plus la raison est évidente, plus la conclusion est

    dramatique, plus nous allons donner de l’importance à notre

    non-verbal.

     

     

    Lorsqu’il y a un accident sur la route, les gendarmes ou les policiers

    font des gestes pour vous faire ralentir afin de vous éviter

    un carambolage. Le gendarme connaît la raison (l’accident). Il

    sait que vous le voyez ou que vous allez le découvrir rapidement,

    après le virage. Ses gestes sont essentiellement organisés pour

    vous faire prendre conscience de la conclusion. Si les gestes sont

    très violents (il baisse et remonte le bras très rapidement), c’est

    que la conclusion peut être dramatique. Au contraire, si ses

    gestes sont plus lents et plus amples, c’est que la conclusion n’est

    pas aussi dangereuse que dans le cas précédent.

    Faisons relire la phrase à notre ami en insérant maintenant une

    raison et une conclusion dans le texte : « Le train part dans

    moins d’une heure, vous n’y arriverez jamais, la circulation est

    très dense à cette heure-là. » La raison est toujours la même (le

    train part dans une heure). La conclusion est maintenant

    évidente, c’est la densité de la circulation à cette heure-là.

    Paroles : « Le train part dans une heure… »

    Gestes : mains qui s’agitent en pompant l’air à l’horizontal,

    poing(s) fermé(s), mimiques du visage, lèvres serrées, yeux

    plissés en signe d’effort.

    Paroles : « vous n’y arriverez jamais, la circulation est très

    dense à cette heure-là. »

    Gestes : mains qui se lèvent au-dessus de la tête comme en

    signe de désespoir, mains qui se projettent vers l’avant, tête

    qui tourne sur l’axe du cou en allant de droite à gauche, yeux

    qui se ferment quand la tête fait le signe du « non ».Ici, le non-verbal est plus marquant que dans le cas où la conclusion

    n’était pas explicite.

     

    Ainsi, lorsque nous voulons analyser les gestes de celui qui veut

    nous donner une information, il faut prendre en compte deux

    cas de figure, à savoir : celui où l’informateur donne la raison et

    pas la conclusion ; celui où l’informateur donne la raison et la

    conclusion dans sa phrase.

    Cette distinction nous permet de mieux comprendre les types de

    gestes, de mimiques et de tons de voix utilisés.

     

     

     

    La volonté du geste

     

     

    Souvent, les ministres et les présidents disent « je veux ». Pendant

    la campagne des présidentielles de 2007, Ségolène Royal comme

    Nicolas Sarkozy ne faisaient pas un discours sans dire « quand je

    serais président(e), je veux faire telle ou telle chose ». À chaque

    fois, on avait la raison et parfois la conclusion. « Quand je serais

    président (Nicolas Sarkozy), je veux que les enfants aillent à l’école

    en uniforme. » Observons cette proposition. Pour comprendre la

    gestuelle du candidat, il faut avoir un lien de « pertinence » entre la

    raison et la conclusion. Le lien de pertinence c’est, comme le

    souligne Emmanuelle Danblon, la représentation du monde que

    doit avoir celui qui reçoit l’information. La phrase de Nicolas

    Sarkozy ne se comprend que si l’on sait qu’il pense que l’Éducation

    nationale en France va mal parce qu’il n’y a plus de discipline et

    d’ordre dans les écoles. Lorsqu’il dit « je veux », il utilise un nonverbal

    qui magnifie le « je veux », mais qui n’explique pas l’importance

    du port de l’uniforme.

    Regardez une vidéo de l’un de ses discours : il devrait, pour nous

    faire comprendre ce qu’il veut dire, terminer sa phrase avec un

    geste, les deux mains se faisant face, très rapprochées, montantes

    et descendantes par flexion des poignets, pour montrer la rigueur,

    la rigidité, l’ordre. Or, je n’ai pas observé ce geste. Cela veut

     

     

    probablement dire que le sujet voulait informer de sa volonté mais

    pas forcément du résultat attendu. Le point sur l’école ne devait

    être qu’un exemple dans son esprit !

    Selon Emmanuelle Danblon, il y a trois moyens d’informer selon

    que l’on se positionne dans la magie, dans le rituel ou dans la

    rhétorique.

    La magie

    La parole magique est celle de l’oracle, du consultant ou de

    l’homme politique qui annonce une catastrophe, un malheur ou

    un grand événement comme la fin du monde, etc.

    Paroles : « la France est foutue », « les OGM vont nous faire

    mourir », « le réchauffement de la température va provoquer

    des cataclysmes météorologiques incroyables, inimaginables,

    dévastateurs, qui vont faire mourir nos civilisations », « maintenant,

    nous sommes dans un régime présidentiel, c’est la

    catastrophe », etc.

    Gestes : les gestes sont ici toujours les mêmes. À un moment

    donné, lorsque l’oracle annonce la catastrophe qui nous pend

    au nez, son bras droit fauche le vent comme la faux de la

    mort. Sa main monte au ciel en étant très éloignée du corps.

    L’autre main est accrochée au pupitre. Les deux mains peuvent

    aussi descendre du ciel comme si elles suivaient la pente d’un

    triangle. Elles s’écartent comme si elles allaient se perdre dans

    la mer !

    Les oracles, en fait, veulent faire peur ! Le discours n’est rien à

    côté des gestes métaphoriques qui doivent hypnotiser le public.

    Dans le non-verbal de l’oracle, du magicien ou du gourou, le

     

     

    public doit être conquis, envoûté. Les gestes, les mimiques et le

    ton de la voix ne doivent donc pas contredire ce qui est annoncé.

     

     

    Hollande, Bayrou, Voynet, Le Pen, Buffet… Des

    oracles ?

     

     

    François Hollande est coutumier de ces gestes quand il parle de ce

    qui va se passer avec Nicolas Sarkozy ! On y voit la mer, le vent, le

    chaos !

    François Bayrou a beaucoup utilisé ce type de présentation lors de

    la campagne présidentielle de 2007. Ses gestes d’oracle l’ont amené

    au score inattendu de près de 18 % au premier tour ! Le ton lent,

    la voix grave, l’expression interrogative du visage, les gestes larges

    des bras, les mains en avant bien ouvertes comme s’il offrait sa

    contribution de vérité au peuple, ont contribué à lui donner un

    statut auquel il ne pouvait prétendre avant les élections.

    Dans le rôle d’oracles, Dominique Voynet, Jean-Marie Le Pen et

    Marie-George Buffet n’ont pas eu beaucoup de succès pendant ces

    mêmes élections. Cela tient certes au positionnement de leur

    parti, mais aussi à leur absence de talent et de crédibilité pour

    prédire le pire, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy. Le ton de voix aigre de

    Dominique Voynet, ses petits gestes précipités et ses mimiques du

    visage ne lui ont pas donné ce qu’elle escomptait. Regardez

    comment elle répond aux journalistes : son regard est acide,

    agressif. Ses sourires sont commandés et expriment plus le dédain

    que la réelle amitié. Il n’y a pas de naturel dans ses gestes qui sont

    toujours apprêtés. Finalement, elle ne communique aucune

    émotion. Elle n’a pas de geste de relation ! Marie-George Buffet,

    quant à elle, procède par gestes plus sérieux, plus calmes. Mais là

    encore, son ton de voix très mécanique en fait une sorte d’oracle

    sans émotion. Ses gestes, bien que mesurés, ne sont ni des gestes

    de relation, ni des gestes métaphoriques. Elle est technique, alors

     

    qu’en réalité c’est une femme de coeur ! Il faut au parti communiste

    un oracle chaud et surtout pas froid.

    Le rituel guerrier

    Le rituel guerrier fait appel à une autre gestuelle. Ici, c’est le

    leader qui parle ; il doit lever sa troupe pour qu’elle avance. Il

    doit faire passer un courant qui galvanise le peuple. C’est le

    syndicaliste qui harangue les grévistes pour qu’ils cessent ou

    reprennent le travail. Là, il faut du poing levé sur un bras tendu

    bien au-dessus de la tête, pas comme le ferait un coureur cycliste

    qui vient de gagner une étape du tour de France, mais comme

    un desperado qui vient de tuer l’ennemi. Là, il faut un visage

    fermé, des maxillaires saillants ! Le ton de la voix doit être pathétique,

    les yeux de braise, le menton en avant, le corps droit. Les

    poings, en s’agitant, sont la marque de la volonté.

     

     

     

    Oracles et guerriers aux élections

     

     

    Remarquons que les leaders socialistes, lors de leurs élections

    partielles, ne se trouvaient, dans leur confrontation télévisuelle, ni

    en position d’oracles, ni en position de guerriers. Leurs gestes

    étaient quasiment inexistants, ce qui laissait sous-entendre qu’ils

    avaient appris leurs réponses par coeur et qu’ils n’avaient plus à

    chercher leurs mots dans leur dictionnaire cérébral. Cela explique

    peut-être que les militants aient préféré Ségolène Royal à Dominique

    Strauss-Kahn ou à Laurent Fabius. Elle n’a pas fait passer de

    message particulier, mais on avait en mémoire ses positions

    d’oracle et le rituel guerrier utilisé lors de meetings en province.

    Ni Fabius, ni Strauss-Kahn n’ont et n’auront jamais cette qualité du

    non-verbal du rituel guerrier.

     

    On pourrait avancer que les élections présidentielles se sont

    jouées entre deux candidats ayant une très grande qualité non

    verbale dans la magie (oracle) et le rituel guerrier. D’un côté,

    Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal dans leur rôle d’oracle et dans

    un rituel guerrier de très grande facture, et, de l’autre, tous les

    autres candidats montrant une absence de qualité du non-verbal

    dans le rituel guerrier comme dans le rôle d’oracle, excepté pour

    François Bayrou, comme il a été dit précédemment.

    Il est clair que Jean-Marie Le Pen qui, pendant des années, a été l’un

    des meilleurs dans le non-verbal de l’oracle et du rituel guerrier, a

    été largement battu sur son terrain par le candidat Sarkozy. Ce

    dernier avait les gestes qu’il fallait aux moments opportuns, tandis

    que Le Pen changeait de registre, voulant se faire plus comestible

    qu’à l’accoutumée, et oubliait ses gestes d’antan, ses intonations et

    ses dénonciations qui ont fait son succès en 2002. Peut-être que

    ses conseillers se sont trompés et ont voulu faire de lui un « Le

    Pen light », ou peut-être que son âge ne donnait plus à ses gestes

    iconiques leur vraie force.

    Bien évidemment, des esprits chagrins diront que ces analyses

    n’ont pas de sens et que ce sont les programmes qui ont fait voter

    les Français. Libre à eux de croire cela. À mon sens, c’est par le

    non-verbal que les choses se sont faites, mais bien sûr, ce n’est

    qu’un point de vue !

    La rhétorique

    C’est le discours classique, celui où l’on avance des idées et où

    l’on parle au néocortex. C’est celui des énarques ! On ne fait

    plus de magie, on ne tient pas des discours de rituel guerrier. Les

    gestes iconiques sont de mise.

     

     

    La rhétorique de Jean-François Copé

     

     

    L’un des spécimens les plus intéressants de ce type de discours est

    probablement Jean-François Copé. Cet homme politique a un

    discours organisé, équilibré. Lors des élections régionales de 2004

    qui l’opposaient à Jean-Paul Huchon, au cours d’un meeting UMP

    au palais des Congrès, j’ai eu l’occasion d’analyser son non-verbal.

    Peu de gestes, quelques battements du bras sur le pupitre, mais en

    aucun cas des gestes d’oracle ou de guerrier. Tout ce qu’il pensait

    se lisait dans son sourire large, ses yeux malicieux, pétillants

    d’intelligence. Il avait toutefois, de temps à autre, une légère teinte

    de condescendance au coin des lèvres, vite balayée par le large

    sourire de celui à qui tout réussit. Son discours poli, simple et ses

    gestes iconiques ont conquis par leur intelligence la foule des militants

    présents, mais pas celle des électeurs d’Île de France !

    Donner un ordre

    Puisque vos amis ont si bien su exprimer leurs sentiments face

    à la pluie puis informer celui qui doit prendre le train, demandez

    maintenant à l’un d’entre eux de donner un ordre à ses enfants

    du type « je veux que vos chambres soient rangées et tout de

    suite ».

    Ici, les choses vont être moins simples pour décoder les gestes !

    Si votre ami est un père autoritaire qui n’accepte aucun

    compromis, il va dire cette phrase sur un ton fort rugueux en

    insistant sur le « je veux ». S’il est droitier, son bras droit va

    s’agiter horizontalement dans une sorte de tremblement de haut

    en bas (geste heurté). L’index de la main droite va d’abord être

    pointé sur la personne à qui il parle, puis sur les effets qu’il

     

    convient de ranger. Les sourcils seront froncés et les yeux ronds

    comme des billes.

    Si cet ami est un père plutôt cool, il va s’exprimer de façon totalement

    différente. Ses mains ne seront pas menaçantes ; elles

    seront ouvertes, les paumes vers le ciel. L’index de la main droite

    ne sera pas tendu vers celui à qui on demande de ranger la

    chambre. On peut même voir la main droite puis la main gauche

    balayer l’étendue de la pièce en montrant, dans les temps d’arrêt,

    tel ou tel objet qu’il faudrait ranger. Ici, les gestes sont utilisés par

    votre ami pour traduire l’intensité et l’importance de l’ordre.

    Dans le premier cas (celui du père autoritaire), on comprend

    que les choses doivent être faites immédiatement et que ne pas

    le faire serait compris comme un casus belli, une rébellion ! Dans

    le second cas (celui du père cool), on comprend, à travers les

    gestes, que la situation n’est pas dramatique et que l’on se situe

    plus sur le ton du conseil que sur celui du diktat !

    Ici, nous avons pris l’exemple d’un père qui donne un ordre à ses

    enfants ; c’est un ordre non argumenté. Les deux parties (père

    et enfant) se connaissent ! Le père ne donne ni raison, ni conclusion.

    C’est dans le « je » et « l’immédiatement » que se situe

    l’information. Le non-verbal est essentiellement organisé autour

    de la transmission de l’autorité du père et de son image. C’est ce

    qui se passe dans la vie courante. Quand le gendarme nous dit

    « circulez », il n’argumente pas. Ses gestes ne nous informent

    pas. Ils sont au service de son image, comme son uniforme sert

    à asseoir son autorité. Il n’aura pas à faire d’effort avec ses gestes

    pour qu’on le prenne au sérieux. Ceci n’est peut-être pas votre

    cas ou celui de votre chef direct.

    Le chef ou le patron qui veut donner un ordre non argumenté va

    produire un non-verbal calqué sur sa relation aux autres et sur

     

    son besoin d’autorité. S’il ne se sent pas pris au sérieux par celui

    ou ceux à qui il donne un ordre, ses gestes vont être saccadés,

    peut-être jusqu’à frapper la table ; il va avoir un ton de voix très

    différent de celui qu’il a d’habitude (plus dans les aigus). Il se

    tiendra généralement debout. A contrario, celui qui se sent

    reconnu n’a pas besoin de forcer ses gestes. Il peut rester assis et

    avoir un ton de voix calme, des gestes simples, non agressifs. À

    l’évidence, dans l’ordre non argumenté, la gestuelle ne se conçoit

    que pour donner de la force à l’émetteur si ce dernier en a

    besoin.

     

     

     

    Un exemple d’autorité naturelle

     

     

     

    J’ai le souvenir d’un jeune contremaître arrivant dans une usine où

    il y avait beaucoup de femmes à commander. Ce n’était pas une

    mission simple, surtout que ces ouvrières avaient des années

    d’expérience dans cette usine et plusieurs contremaîtres à leur

    actif. Bien que non expertes en non-verbal, elles avaient vite fait de

    comprendre à qui elles avaient à faire. Le jeune contremaître s’en

    sortit très bien : au lieu de vouloir s’imposer dès son arrivée, il

    demanda à voir l’encadrement qu’il prit en petit groupe. Il s’enquit

    des problèmes techniques et des problèmes d’absentéisme, et

    attendit le bon moment pour donner ses premiers ordres. Il le fit

    simplement, laissant transparaître par son non-verbal sa grande

    gentillesse et sa précision. Il évita les mains dans les poches qui

    sont toujours un signe à double tranchant (arrogance, décontraction),

    fit des gestes lents comme s’il ne parlait pas, et proscrit le

    « je », s’arrêtant quand une ouvrière parlait à une autre et lui

    faisant un grand sourire. En fait, il avait pris le parti de ne donner

    des ordres qu’après que le groupe d’ouvrières l’ait accepté. Ceci

    est un vrai acte de management géré par un non-verbal intelligent.

     

     

    La rage de convaincre

    Convaincre est un moment très important dans notre vie. Nous

    voulons convaincre notre dulcinée que nous sommes l’homme

    de sa vie, nous voulons convaincre notre épouse de venir avec les

    enfants voir le match de foot de l’équipe locale, un jour où il fait

    vraiment très froid et où elle n’en a pas du tout envie. Nous

    voulons aussi expliquer à notre supérieur que nous devrions être

    augmenté rapidement parce que nous le méritons et que ce ne

    serait que simple justice. Enfin, en tant que politique, nous

    voulons convaincre nos concitoyens que nous sommes le

    candidat idéal.

    Comment les gestes, la voix, les mimiques aident-ils à convaincre

    les autres ? Voilà la question ! Pour comprendre, débutons par

    une série d’expériences simples.

    Tout d’abord, demandons à quelqu’un de notre entourage de

    nous convaincre, sans prononcer un seul mot, que ce n’est pas

    lui qui a laissé sortir le chien, lequel en a profité pour faire une

    fugue !

    Ne pouvant pas prononcer un seul mot, le sujet va s’exprimer

    seulement avec ses mains et avec les mimiques de son visage. Il

    va commencer par mettre ses mains vers lui en se touchant la

    poitrine, les mains légèrement fermées et les paumes vers l’intérieur

    (comme s’il se battait la coulpe). Puis ses mains vont

    s’écarter du corps dans un mouvement bref, faces tournées vers

    l’interlocuteur. Avec l’index de la main droite, il fera le signe du

    « non » en agitant le doigt rapidement comme un essuie-glace

    par grande pluie. Sa tête va faire une translation du côté droit

    avec un mouvement vers l’avant, suivi d’une poussée arrière du

     

     

    corps. Les yeux resteront grands ouverts, les sourcils en chapeau

    chinois !

    Bien sûr, avec ces gestes, il est difficile de faire comprendre qu’il

    s’agit d’un chien et que celui-ci est sorti. On voit ici la limite des

    gestes. Par le langage des gestes, on comprend bien que le sujet

    nous montre qu’il n’est pas responsable. Mais nous n’en savons

    pas plus.

    Si l’on demande à cet ami de refaire la même expérience en

    prononçant la phrase « je vous assure, je vous donne ma parole,

    croyez-moi, je n’y suis pour rien, ça n’est pas moi qui ai laissé

    sortir le chien », le ton de la voix va nous éclairer sur la nonculpabilité

    du sujet. Les gestes vont souligner l’émotion, la

    crainte que l’on pourrait douter de lui ou de sa parole. Ces gestes

    ne seront pas différents de ce que nous avons pu voir précédemment

    lorsque l’expérience s’est faite sans parole. Seul le ton de

    la voix va donner du relief aux gestes.

    Refaisons l’expérience, mais cette fois-ci, laissons notre ami

    dire ce qu’il veut pour nous convaincre qu’il n’y est pour rien

    dans la fugue du chien.

    Selon sa personnalité, ses compétences, sa culture, ses origines,

    notre ami va ressentir le besoin de densifier plus ou moins son

    discours. Il va vouloir s’expliquer et pour cela trouver les mots,

    les phrases, les arguments qu’il estime être les plus convaincants.

    Ici, le choix du vocabulaire sera important ! Les gestes et les

    mimiques du visage devront confirmer le sens des mots et des

    phrases. On observera une répétition des gestes et des mimiques.

    Le rythme du non-verbal risque de s’accélérer au fur et à

    mesure que le débit de paroles sera de plus en plus volubile.

     

    Que montre cette expérience ? Tout d’abord, on note que les

    gestes garantissent l’authenticité des mots. Ils sont là en support

    de ce qui est dit. L’alliance entre le ton de la voix et les gestes a

    pour objectif de montrer que le sujet, à travers son discours, dit

    la vérité. On comprend bien, et nous le verrons ultérieurement,

    que s’il n’y a pas de cohérence entre les mots, le ton de la voix et

    les gestes, personne ne croira que notre ami n’est pas celui qui a

    laissé sortir le chien.


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