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Par MysticalDark.net le 11 Septembre 2011 à 18:55
La fonction des gestes
Où avons-nous appris tous les gestes que nous utilisons ?
Personne ne le sait au juste. Peut-être lorsque nous ne parlions
pas encore ? Peut-être que cela nous vient du fait que nous
imitions nos aînés lorsque nous étions enfants ? Tout cela est
possible ! La seule chose dont nous soyons certains et que nous
pouvons vérifier, c’est que, dans une situation donnée, nous
faisons tous, jeunes, vieux, hommes, femmes, Européens,
Chinois, Africains, les mêmes gestes.
L’impérieux besoin d’exprimer ses sentiments
Faites le test suivant : écrivez sur un papier « il va pleuvoir
dimanche. » Donnez maintenant ce texte à lire à des amis en
leur demandant d’imaginer que ce fameux dimanche est justement
le jour où ils ont invité leurs amis et voisins à un super
barbecue pour l’anniversaire du petit dernier. Écoutez le ton de
leur voix et observez leurs gestes et les mimiques de leur visage.
• Le ton de la voix sera triste et laissera sous-entendre le dépit.
Le mot « dimanche » sera prononcé lentement, longuement,
et finira dans une consonance accentuant le « che » de
dimanche.
• Les mains et les bras : ils vont probablement lever leurs bras
en l’air et les laisser retomber rapidement le long des jambes
comme s’ils étaient las, fatigués, désespérés. Les mains
seront sans vie. Il y aura peut-être un haussement d’épaules.
Ce sont des gestes métaphoriques. Ils traduisent une image
mal définie dans le cerveau de vos amis. Bien sûr, en
fonction de leur personnalité et de l’importance pour eux de
ce dimanche, les gestes auront plus ou moins d’amplitude,
seront plus ou moins rapides et saccadés ! Mais ils seront de
même nature !
• Les yeux seront tristes et les sourcils auront probablement
une forme de chapeau chinois. La tête sera penchée. Vos
amis, qui ne sont pas des comédiens, vont immédiatement et
automatiquement utiliser les mêmes mimiques du visage
pour traduire leurs sentiments, leurs émotions.
Demandez maintenant à un autre groupe d’amis de lire le texte
sans faire de gestes, et observez bien les mimiques de leur
visage. Pour être certain qu’il n’y aura pas de gestes, liez les
mains des speakers dans le dos.
En les observant lire le texte, vous constaterez que certains de
vos amis ont du mal à lire. C’est ce que nous avons pu
comprendre dans les chapitres précédents, à propos de la liaison
entre le cerveau et la recherche de mots dans notre dictionnaire
cérébral. Mais surtout, vous allez pouvoir observer qu’ils en
rajoutent au niveau de leurs mimiques. Leur visage exprimera
une très grande tristesse. Ils vont le mouvoir dans tous les sens,
faire des pauses dans leur lecture et appuyer ces silences par des
haussements d’épaules et un jeu particulier des yeux, qui
s’ouvriront et se fermeront au fur et à mesure que naît la tristesse.
Au passage, vous pourrez noter l’aptitude de vos amis à
imaginer, à jouer un rôle, et, en quelque sorte, à mentir.
Cette première expérience montre que si nous faisons tous les
mêmes gestes, nous les faisons plus ou moins bien, avec plus ou
moins d’exactitude et d’authenticité.
Je propose souvent dans des situations d’entretien d’embauche
de faire lire un texte se rapprochant du métier pour lequel la
personne postule, et ensuite de lui demander de jouer la scène.
On se rend immédiatement compte de sa capacité à imaginer, à
trouver les bons gestes et les bonnes mimiques. Dans le cadre
des emplois de manager ou de vendeur, le test est redoutable : la
personnalité du candidat vous saute aux yeux. Finalement, ce
n’est pas autre chose que le fameux casting que l’on fait passer
aux prétendants à un rôle dans un film.
L’importance de la gestuelle chez les acteurs
J’ai eu l’occasion de faire ces expériences avec des acteurs professionnels.
Il est certain que leurs gestes sont plus purs, plus exacts.
Pour autant, ils ne sont pas différents. L’acteur, pour faire les gestes
qui conviennent, se doit d’imaginer la scène et se fondre dans le
personnage qu’il incarne. Il doit, par exemple, se prendre pour la
mère de famille qui a tout préparé et qui se fait une fête de recevoir
ses amis. À cet égard, le metteur en scène Claude Lelouch
m’expliquait que son travail consistait à donner à ses acteurs le
type de non-verbal qu’ils devaient avoir pour jouer la scène comme
il l’imaginait. J’ai aussi travaillé avec une jeune actrice, Élodie
Navarre, qui devait incarner le rôle d’une pianiste alors qu’elle ne
savait pas jouer de cet instrument. Lorsque j’ai vu le film, j’ai été
surpris par la justesse de son jeu : elle s’était fondue dans le
personnage tant et si bien qu’elle vivait à proprement parler
comme son personnage.
A contrario, le président des États-Unis Ronald Reagan, qui avait
pourtant une très belle voix, ne fut jamais un grand acteur. Son
non-verbal n’était pas à la hauteur : il jouait faux ; ses gestes et ses
mimiques étaient très décalés par rapport à sa belle voix. En fait,
on imaginait autre chose de lui. Cela ne l’a pas empêché de devenir
un grand président.
Continuons l’expérience ! Demandez à vos amis de lire le
même texte, en imaginant cette fois qu’avec la pluie, la bellemère
avec laquelle ils n’ont pas de très bonnes relations ne
pourra pas venir déjeuner. Vous pourrez aussitôt observer les
traits suivants :
• La voix : le ton est plus enjoué. Le mot « dimanche » sera
prononcé de telle façon qu’il paraîtra plus bref que dans le
cas précédent.
• Le visage et les mains : les visages laisseront apparaître un
rictus de plaisir. Les mains monteront au ciel, les paumes
vers le haut et les doigts peu tendus, les épaules relevées
comme pour dire « ce n’est pas ma faute ».
Vous aurez compris, à travers ces gestes et ce ton de voix, le
sentiment de vos amis à l’endroit de leur belle-mère et leur joie
de ne pas la voir.
Encore une fois, vos amis n’étaient pas préparés à cet exercice,
et pourtant ils ont adopté le même ton de voix et les mêmes
gestes naturellement, sans effort. Les gestes sont apparus
spontanément comme si vos amis avaient déjà vécu ces deux
situations ! Que s’est-il passé dans leur cerveau ? Comment
l’ordre a-t-il été donné aux muscles du visage et des mains ?
Comment les cordes vocales se sont-elles mises à vibrer, dans un
cas à partir d’harmoniques mineures (tristesse d’un barbecue
gâché), dans l’autre, d’harmoniques majeures (joie de ne pas
avoir la corvée de recevoir la belle-mère) ?
Ce sont des questions dont nous ne connaissons pas parfaitement
les réponses ! Pour l’instant, constatons simplement que
les gestes et les mimiques se sont avérés être le seul moyen dont
vos amis disposaient pour exprimer leur ressenti par rapport à
deux situations très différentes. D’un côté, la pluie qui gâche
tout, de l’autre, la pluie qui apporte la joie. Sans gestes, sans tons
de voix, nous n’aurions pas compris ces états d’âme, ces joies ou
ces souffrances. Quoi qu’il en soit, vos amis ont utilisé involontairement
mais simultanément et de façon synchrone les quatre
moyens dont ils disposaient pour nous renseigner : le texte, la
voix, les gestes et les mimiques du visage.
Dans cette expérience, nous avons montré que face à certaines
émotions (en l’occurrence la tristesse et la joie), nous utilisons
les mêmes gestes, bien qu’à des degrés différents selon notre
rapport à l’événement. Si l’on peut répéter cette expérience à
différentes latitudes et dans plusieurs langues, et si nous observons
toujours les mêmes résultats, nous aurons démontré que les
humains ont un seul langage non verbal et qu’ils parlent en fait
la même langue des gestes dans des occasions très précises. Cela
est très encourageant pour ceux qui ont la tâche ou la marotte de
décoder les gestes.
La nécessité d’informer
Continuons l’expérience : écrivez sur un papier « le train part
dans moins d’une heure ». Demandez maintenant à un ami de
lire ce texte en imaginant qu’il donne cette information à une
personne qui est en retard et qui va manquer le train si elle ne
se presse pas.
• Le ton de la voix : votre ami va automatiquement lire cette
phrase en accélérant ses paroles et en insistant sur les mots
« train » et « heure ». C’est surtout le « t » de train qui va être
renforcé par un ton de voix sec et dur.
• Les bras et les mains : en même temps que la parole s’exprime,
les avant-bras vont se déplier rapidement, comme si celui qui
parle jetait quelque chose à la face de l’autre. Les mains
seront violemment lancées en avant, poings fermés, et se
déplieront brusquement.
• Le visage : c’est au niveau du visage que les choses
intéressantes vont s’exprimer. Les sourcils seront crispés,
froncés ! Un rictus de douleur apparaîtra et contractera les
zygomatiques.
Encore une fois, votre ami n’est pas un acteur professionnel,
mais son cerveau a compris qu’il avait besoin, pour faire passer
le message d’urgence, d’un certain ton de la voix et de gestes très
particuliers des bras et des mains. Son buste sera penché en
avant, la tête plus basse qu’à l’accoutumée. Ici, votre ami doit
informer son interlocuteur. S’il a pris conscience que ce dernier
risque de manquer son train et que cela aura des conséquences
importantes pour son futur, il va utiliser un non-verbal basé sur
des gestes métaphoriques exprimant l’orage, le désespoir, etc.
Recommencez l’expérience avec le même ami en lui demandant
de lire la phrase et d’exprimer, cette fois, l’idée que celui à qui
l’on s’adresse et qui doit prendre le train a tout son temps et
qu’il ne doit pas s’affoler.
• Le ton de la voix : immédiatement, le rythme et le ton de la
voix vont être différents. Votre ami va parler lentement. Le
ton de sa voix va être plus prononcé dans les graves.
• Les mains : il va lever sa main droite lentement jusqu’à
hauteur des épaules, et la laisser retomber doucement. Les
mains ne seront pas contractées comme dans le cas précédent.
Les paumes des mains seront orientées verticalement. Si
votre ami utilise ses deux mains, on observera une parfaite
symétrie dans les gestes. Les deux mains se feront face. La
main droite sera plus haute que la main gauche. Bien sûr, en
fonction des individus, ces gestes peuvent varier. Cela étant,
ils seront toujours dans les mêmes harmoniques.
• Le visage : la bouche fait une moue qui laisse les lèvres
entrouvertes en forme ovale. Les joues se creusent. Les yeux
sont grands ouverts, regardant vers le ciel.
Ici encore, les gestes ont transmis une information importante à
celui qui doit prendre le train. Votre ami ne traduit pas ses
émotions, mais il utilise des gestes et des mimiques pour donner
un sens d’actualité à l’information qu’il veut faire passer.
Pour informer, là encore, nous utilisons les mêmes gestes. Tout
d’abord, nous allons préciser l’importance de l’information pour
le sujet auquel nous nous adressons. Ceci se fait par les gestes de
nos bras. Comme nous n’avons pas d’image mentale à communiquer,
nous n’utilisons pas de gestes iconiques. En revanche,
nous utilisons des gestes métaphoriques. Plus nous imaginons
que l’information est essentielle à la survie du sujet, plus nous
allons étendre ces gestes métaphoriques. Inversement, si l’information
que nous distillons est à nos yeux moins importante pour
le sujet qui nous regarde, nous allons tout simplement utiliser
des gestes métaphoriques, mais avec moins d’amplitude et de
fréquence.
Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent
! Dans l’ouvrage La fonction persuasive1, Emmanuelle
Danblon précise ce qu’est une argumentation. Pour elle, l’argumentation
consiste à avancer une « raison » en vue de conduire
l’auditoire à adopter une « conclusion » à laquelle il n’adhère pas
au départ. Par exemple, elle propose la raison « il fait beau » et la
conclusion « allons nous promener », ou encore « il y a des
nuages » (raison), « un orage se prépare » (conclusion).
Dans la phrase que notre ami a lue (« le train part dans moins
d’une heure »), nous avons fourni la raison et pas la conclusion.
Ce sont nos gestes qui sont censés lui faire comprendre la
conclusion. En agitant les bras, en forçant sur le « t » de train, en
nous penchant et en lançant nos mains vers l’avant, nous avons
décrit la conclusion qui, à notre avis, est la plus probable, à
savoir le retard.
Plus intéressant encore, nous avons naturellement calé nos
gestes en fonction de notre perception de la relation raison/
conclusion : plus la raison est évidente, plus la conclusion est
dramatique, plus nous allons donner de l’importance à notre
non-verbal.
Lorsqu’il y a un accident sur la route, les gendarmes ou les policiers
font des gestes pour vous faire ralentir afin de vous éviter
un carambolage. Le gendarme connaît la raison (l’accident). Il
sait que vous le voyez ou que vous allez le découvrir rapidement,
après le virage. Ses gestes sont essentiellement organisés pour
vous faire prendre conscience de la conclusion. Si les gestes sont
très violents (il baisse et remonte le bras très rapidement), c’est
que la conclusion peut être dramatique. Au contraire, si ses
gestes sont plus lents et plus amples, c’est que la conclusion n’est
pas aussi dangereuse que dans le cas précédent.
Faisons relire la phrase à notre ami en insérant maintenant une
raison et une conclusion dans le texte : « Le train part dans
moins d’une heure, vous n’y arriverez jamais, la circulation est
très dense à cette heure-là. » La raison est toujours la même (le
train part dans une heure). La conclusion est maintenant
évidente, c’est la densité de la circulation à cette heure-là.
Paroles : « Le train part dans une heure… »
Gestes : mains qui s’agitent en pompant l’air à l’horizontal,
poing(s) fermé(s), mimiques du visage, lèvres serrées, yeux
plissés en signe d’effort.
Paroles : « vous n’y arriverez jamais, la circulation est très
dense à cette heure-là. »
Gestes : mains qui se lèvent au-dessus de la tête comme en
signe de désespoir, mains qui se projettent vers l’avant, tête
qui tourne sur l’axe du cou en allant de droite à gauche, yeux
qui se ferment quand la tête fait le signe du « non ».Ici, le non-verbal est plus marquant que dans le cas où la conclusion
n’était pas explicite.
Ainsi, lorsque nous voulons analyser les gestes de celui qui veut
nous donner une information, il faut prendre en compte deux
cas de figure, à savoir : celui où l’informateur donne la raison et
pas la conclusion ; celui où l’informateur donne la raison et la
conclusion dans sa phrase.
Cette distinction nous permet de mieux comprendre les types de
gestes, de mimiques et de tons de voix utilisés.
La volonté du geste
Souvent, les ministres et les présidents disent « je veux ». Pendant
la campagne des présidentielles de 2007, Ségolène Royal comme
Nicolas Sarkozy ne faisaient pas un discours sans dire « quand je
serais président(e), je veux faire telle ou telle chose ». À chaque
fois, on avait la raison et parfois la conclusion. « Quand je serais
président (Nicolas Sarkozy), je veux que les enfants aillent à l’école
en uniforme. » Observons cette proposition. Pour comprendre la
gestuelle du candidat, il faut avoir un lien de « pertinence » entre la
raison et la conclusion. Le lien de pertinence c’est, comme le
souligne Emmanuelle Danblon, la représentation du monde que
doit avoir celui qui reçoit l’information. La phrase de Nicolas
Sarkozy ne se comprend que si l’on sait qu’il pense que l’Éducation
nationale en France va mal parce qu’il n’y a plus de discipline et
d’ordre dans les écoles. Lorsqu’il dit « je veux », il utilise un nonverbal
qui magnifie le « je veux », mais qui n’explique pas l’importance
du port de l’uniforme.
Regardez une vidéo de l’un de ses discours : il devrait, pour nous
faire comprendre ce qu’il veut dire, terminer sa phrase avec un
geste, les deux mains se faisant face, très rapprochées, montantes
et descendantes par flexion des poignets, pour montrer la rigueur,
la rigidité, l’ordre. Or, je n’ai pas observé ce geste. Cela veut
probablement dire que le sujet voulait informer de sa volonté mais
pas forcément du résultat attendu. Le point sur l’école ne devait
être qu’un exemple dans son esprit !
Selon Emmanuelle Danblon, il y a trois moyens d’informer selon
que l’on se positionne dans la magie, dans le rituel ou dans la
rhétorique.
La magie
La parole magique est celle de l’oracle, du consultant ou de
l’homme politique qui annonce une catastrophe, un malheur ou
un grand événement comme la fin du monde, etc.
Paroles : « la France est foutue », « les OGM vont nous faire
mourir », « le réchauffement de la température va provoquer
des cataclysmes météorologiques incroyables, inimaginables,
dévastateurs, qui vont faire mourir nos civilisations », « maintenant,
nous sommes dans un régime présidentiel, c’est la
catastrophe », etc.
Gestes : les gestes sont ici toujours les mêmes. À un moment
donné, lorsque l’oracle annonce la catastrophe qui nous pend
au nez, son bras droit fauche le vent comme la faux de la
mort. Sa main monte au ciel en étant très éloignée du corps.
L’autre main est accrochée au pupitre. Les deux mains peuvent
aussi descendre du ciel comme si elles suivaient la pente d’un
triangle. Elles s’écartent comme si elles allaient se perdre dans
la mer !
Les oracles, en fait, veulent faire peur ! Le discours n’est rien à
côté des gestes métaphoriques qui doivent hypnotiser le public.
Dans le non-verbal de l’oracle, du magicien ou du gourou, le
public doit être conquis, envoûté. Les gestes, les mimiques et le
ton de la voix ne doivent donc pas contredire ce qui est annoncé.
Hollande, Bayrou, Voynet, Le Pen, Buffet… Des
oracles ?
François Hollande est coutumier de ces gestes quand il parle de ce
qui va se passer avec Nicolas Sarkozy ! On y voit la mer, le vent, le
chaos !
François Bayrou a beaucoup utilisé ce type de présentation lors de
la campagne présidentielle de 2007. Ses gestes d’oracle l’ont amené
au score inattendu de près de 18 % au premier tour ! Le ton lent,
la voix grave, l’expression interrogative du visage, les gestes larges
des bras, les mains en avant bien ouvertes comme s’il offrait sa
contribution de vérité au peuple, ont contribué à lui donner un
statut auquel il ne pouvait prétendre avant les élections.
Dans le rôle d’oracles, Dominique Voynet, Jean-Marie Le Pen et
Marie-George Buffet n’ont pas eu beaucoup de succès pendant ces
mêmes élections. Cela tient certes au positionnement de leur
parti, mais aussi à leur absence de talent et de crédibilité pour
prédire le pire, c’est-à-dire Nicolas Sarkozy. Le ton de voix aigre de
Dominique Voynet, ses petits gestes précipités et ses mimiques du
visage ne lui ont pas donné ce qu’elle escomptait. Regardez
comment elle répond aux journalistes : son regard est acide,
agressif. Ses sourires sont commandés et expriment plus le dédain
que la réelle amitié. Il n’y a pas de naturel dans ses gestes qui sont
toujours apprêtés. Finalement, elle ne communique aucune
émotion. Elle n’a pas de geste de relation ! Marie-George Buffet,
quant à elle, procède par gestes plus sérieux, plus calmes. Mais là
encore, son ton de voix très mécanique en fait une sorte d’oracle
sans émotion. Ses gestes, bien que mesurés, ne sont ni des gestes
de relation, ni des gestes métaphoriques. Elle est technique, alors
qu’en réalité c’est une femme de coeur ! Il faut au parti communiste
un oracle chaud et surtout pas froid.
Le rituel guerrier
Le rituel guerrier fait appel à une autre gestuelle. Ici, c’est le
leader qui parle ; il doit lever sa troupe pour qu’elle avance. Il
doit faire passer un courant qui galvanise le peuple. C’est le
syndicaliste qui harangue les grévistes pour qu’ils cessent ou
reprennent le travail. Là, il faut du poing levé sur un bras tendu
bien au-dessus de la tête, pas comme le ferait un coureur cycliste
qui vient de gagner une étape du tour de France, mais comme
un desperado qui vient de tuer l’ennemi. Là, il faut un visage
fermé, des maxillaires saillants ! Le ton de la voix doit être pathétique,
les yeux de braise, le menton en avant, le corps droit. Les
poings, en s’agitant, sont la marque de la volonté.
Oracles et guerriers aux élections
Remarquons que les leaders socialistes, lors de leurs élections
partielles, ne se trouvaient, dans leur confrontation télévisuelle, ni
en position d’oracles, ni en position de guerriers. Leurs gestes
étaient quasiment inexistants, ce qui laissait sous-entendre qu’ils
avaient appris leurs réponses par coeur et qu’ils n’avaient plus à
chercher leurs mots dans leur dictionnaire cérébral. Cela explique
peut-être que les militants aient préféré Ségolène Royal à Dominique
Strauss-Kahn ou à Laurent Fabius. Elle n’a pas fait passer de
message particulier, mais on avait en mémoire ses positions
d’oracle et le rituel guerrier utilisé lors de meetings en province.
Ni Fabius, ni Strauss-Kahn n’ont et n’auront jamais cette qualité du
non-verbal du rituel guerrier.
On pourrait avancer que les élections présidentielles se sont
jouées entre deux candidats ayant une très grande qualité non
verbale dans la magie (oracle) et le rituel guerrier. D’un côté,
Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal dans leur rôle d’oracle et dans
un rituel guerrier de très grande facture, et, de l’autre, tous les
autres candidats montrant une absence de qualité du non-verbal
dans le rituel guerrier comme dans le rôle d’oracle, excepté pour
François Bayrou, comme il a été dit précédemment.
Il est clair que Jean-Marie Le Pen qui, pendant des années, a été l’un
des meilleurs dans le non-verbal de l’oracle et du rituel guerrier, a
été largement battu sur son terrain par le candidat Sarkozy. Ce
dernier avait les gestes qu’il fallait aux moments opportuns, tandis
que Le Pen changeait de registre, voulant se faire plus comestible
qu’à l’accoutumée, et oubliait ses gestes d’antan, ses intonations et
ses dénonciations qui ont fait son succès en 2002. Peut-être que
ses conseillers se sont trompés et ont voulu faire de lui un « Le
Pen light », ou peut-être que son âge ne donnait plus à ses gestes
iconiques leur vraie force.
Bien évidemment, des esprits chagrins diront que ces analyses
n’ont pas de sens et que ce sont les programmes qui ont fait voter
les Français. Libre à eux de croire cela. À mon sens, c’est par le
non-verbal que les choses se sont faites, mais bien sûr, ce n’est
qu’un point de vue !
La rhétorique
C’est le discours classique, celui où l’on avance des idées et où
l’on parle au néocortex. C’est celui des énarques ! On ne fait
plus de magie, on ne tient pas des discours de rituel guerrier. Les
gestes iconiques sont de mise.
La rhétorique de Jean-François Copé
L’un des spécimens les plus intéressants de ce type de discours est
probablement Jean-François Copé. Cet homme politique a un
discours organisé, équilibré. Lors des élections régionales de 2004
qui l’opposaient à Jean-Paul Huchon, au cours d’un meeting UMP
au palais des Congrès, j’ai eu l’occasion d’analyser son non-verbal.
Peu de gestes, quelques battements du bras sur le pupitre, mais en
aucun cas des gestes d’oracle ou de guerrier. Tout ce qu’il pensait
se lisait dans son sourire large, ses yeux malicieux, pétillants
d’intelligence. Il avait toutefois, de temps à autre, une légère teinte
de condescendance au coin des lèvres, vite balayée par le large
sourire de celui à qui tout réussit. Son discours poli, simple et ses
gestes iconiques ont conquis par leur intelligence la foule des militants
présents, mais pas celle des électeurs d’Île de France !
Donner un ordre
Puisque vos amis ont si bien su exprimer leurs sentiments face
à la pluie puis informer celui qui doit prendre le train, demandez
maintenant à l’un d’entre eux de donner un ordre à ses enfants
du type « je veux que vos chambres soient rangées et tout de
suite ».
Ici, les choses vont être moins simples pour décoder les gestes !
Si votre ami est un père autoritaire qui n’accepte aucun
compromis, il va dire cette phrase sur un ton fort rugueux en
insistant sur le « je veux ». S’il est droitier, son bras droit va
s’agiter horizontalement dans une sorte de tremblement de haut
en bas (geste heurté). L’index de la main droite va d’abord être
pointé sur la personne à qui il parle, puis sur les effets qu’il
convient de ranger. Les sourcils seront froncés et les yeux ronds
comme des billes.
Si cet ami est un père plutôt cool, il va s’exprimer de façon totalement
différente. Ses mains ne seront pas menaçantes ; elles
seront ouvertes, les paumes vers le ciel. L’index de la main droite
ne sera pas tendu vers celui à qui on demande de ranger la
chambre. On peut même voir la main droite puis la main gauche
balayer l’étendue de la pièce en montrant, dans les temps d’arrêt,
tel ou tel objet qu’il faudrait ranger. Ici, les gestes sont utilisés par
votre ami pour traduire l’intensité et l’importance de l’ordre.
Dans le premier cas (celui du père autoritaire), on comprend
que les choses doivent être faites immédiatement et que ne pas
le faire serait compris comme un casus belli, une rébellion ! Dans
le second cas (celui du père cool), on comprend, à travers les
gestes, que la situation n’est pas dramatique et que l’on se situe
plus sur le ton du conseil que sur celui du diktat !
Ici, nous avons pris l’exemple d’un père qui donne un ordre à ses
enfants ; c’est un ordre non argumenté. Les deux parties (père
et enfant) se connaissent ! Le père ne donne ni raison, ni conclusion.
C’est dans le « je » et « l’immédiatement » que se situe
l’information. Le non-verbal est essentiellement organisé autour
de la transmission de l’autorité du père et de son image. C’est ce
qui se passe dans la vie courante. Quand le gendarme nous dit
« circulez », il n’argumente pas. Ses gestes ne nous informent
pas. Ils sont au service de son image, comme son uniforme sert
à asseoir son autorité. Il n’aura pas à faire d’effort avec ses gestes
pour qu’on le prenne au sérieux. Ceci n’est peut-être pas votre
cas ou celui de votre chef direct.
Le chef ou le patron qui veut donner un ordre non argumenté va
produire un non-verbal calqué sur sa relation aux autres et sur
son besoin d’autorité. S’il ne se sent pas pris au sérieux par celui
ou ceux à qui il donne un ordre, ses gestes vont être saccadés,
peut-être jusqu’à frapper la table ; il va avoir un ton de voix très
différent de celui qu’il a d’habitude (plus dans les aigus). Il se
tiendra généralement debout. A contrario, celui qui se sent
reconnu n’a pas besoin de forcer ses gestes. Il peut rester assis et
avoir un ton de voix calme, des gestes simples, non agressifs. À
l’évidence, dans l’ordre non argumenté, la gestuelle ne se conçoit
que pour donner de la force à l’émetteur si ce dernier en a
besoin.
Un exemple d’autorité naturelle
J’ai le souvenir d’un jeune contremaître arrivant dans une usine où
il y avait beaucoup de femmes à commander. Ce n’était pas une
mission simple, surtout que ces ouvrières avaient des années
d’expérience dans cette usine et plusieurs contremaîtres à leur
actif. Bien que non expertes en non-verbal, elles avaient vite fait de
comprendre à qui elles avaient à faire. Le jeune contremaître s’en
sortit très bien : au lieu de vouloir s’imposer dès son arrivée, il
demanda à voir l’encadrement qu’il prit en petit groupe. Il s’enquit
des problèmes techniques et des problèmes d’absentéisme, et
attendit le bon moment pour donner ses premiers ordres. Il le fit
simplement, laissant transparaître par son non-verbal sa grande
gentillesse et sa précision. Il évita les mains dans les poches qui
sont toujours un signe à double tranchant (arrogance, décontraction),
fit des gestes lents comme s’il ne parlait pas, et proscrit le
« je », s’arrêtant quand une ouvrière parlait à une autre et lui
faisant un grand sourire. En fait, il avait pris le parti de ne donner
des ordres qu’après que le groupe d’ouvrières l’ait accepté. Ceci
est un vrai acte de management géré par un non-verbal intelligent.
La rage de convaincre
Convaincre est un moment très important dans notre vie. Nous
voulons convaincre notre dulcinée que nous sommes l’homme
de sa vie, nous voulons convaincre notre épouse de venir avec les
enfants voir le match de foot de l’équipe locale, un jour où il fait
vraiment très froid et où elle n’en a pas du tout envie. Nous
voulons aussi expliquer à notre supérieur que nous devrions être
augmenté rapidement parce que nous le méritons et que ce ne
serait que simple justice. Enfin, en tant que politique, nous
voulons convaincre nos concitoyens que nous sommes le
candidat idéal.
Comment les gestes, la voix, les mimiques aident-ils à convaincre
les autres ? Voilà la question ! Pour comprendre, débutons par
une série d’expériences simples.
Tout d’abord, demandons à quelqu’un de notre entourage de
nous convaincre, sans prononcer un seul mot, que ce n’est pas
lui qui a laissé sortir le chien, lequel en a profité pour faire une
fugue !
Ne pouvant pas prononcer un seul mot, le sujet va s’exprimer
seulement avec ses mains et avec les mimiques de son visage. Il
va commencer par mettre ses mains vers lui en se touchant la
poitrine, les mains légèrement fermées et les paumes vers l’intérieur
(comme s’il se battait la coulpe). Puis ses mains vont
s’écarter du corps dans un mouvement bref, faces tournées vers
l’interlocuteur. Avec l’index de la main droite, il fera le signe du
« non » en agitant le doigt rapidement comme un essuie-glace
par grande pluie. Sa tête va faire une translation du côté droit
avec un mouvement vers l’avant, suivi d’une poussée arrière du
corps. Les yeux resteront grands ouverts, les sourcils en chapeau
chinois !
Bien sûr, avec ces gestes, il est difficile de faire comprendre qu’il
s’agit d’un chien et que celui-ci est sorti. On voit ici la limite des
gestes. Par le langage des gestes, on comprend bien que le sujet
nous montre qu’il n’est pas responsable. Mais nous n’en savons
pas plus.
Si l’on demande à cet ami de refaire la même expérience en
prononçant la phrase « je vous assure, je vous donne ma parole,
croyez-moi, je n’y suis pour rien, ça n’est pas moi qui ai laissé
sortir le chien », le ton de la voix va nous éclairer sur la nonculpabilité
du sujet. Les gestes vont souligner l’émotion, la
crainte que l’on pourrait douter de lui ou de sa parole. Ces gestes
ne seront pas différents de ce que nous avons pu voir précédemment
lorsque l’expérience s’est faite sans parole. Seul le ton de
la voix va donner du relief aux gestes.
Refaisons l’expérience, mais cette fois-ci, laissons notre ami
dire ce qu’il veut pour nous convaincre qu’il n’y est pour rien
dans la fugue du chien.
Selon sa personnalité, ses compétences, sa culture, ses origines,
notre ami va ressentir le besoin de densifier plus ou moins son
discours. Il va vouloir s’expliquer et pour cela trouver les mots,
les phrases, les arguments qu’il estime être les plus convaincants.
Ici, le choix du vocabulaire sera important ! Les gestes et les
mimiques du visage devront confirmer le sens des mots et des
phrases. On observera une répétition des gestes et des mimiques.
Le rythme du non-verbal risque de s’accélérer au fur et à
mesure que le débit de paroles sera de plus en plus volubile.
Que montre cette expérience ? Tout d’abord, on note que les
gestes garantissent l’authenticité des mots. Ils sont là en support
de ce qui est dit. L’alliance entre le ton de la voix et les gestes a
pour objectif de montrer que le sujet, à travers son discours, dit
la vérité. On comprend bien, et nous le verrons ultérieurement,
que s’il n’y a pas de cohérence entre les mots, le ton de la voix et
les gestes, personne ne croira que notre ami n’est pas celui qui a
laissé sortir le chien.
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